Lagrange et le calcul des variations : le calcul révolutionnaire du jeune mathématicien turinois

24 mai 2012
20h30
Professeure au laboratoire Jacques-Louis Lions
IUT Nancy-Charlemagne - 2 Ter Boulevard Charlemagne 54000 Nancy

Cette conférence est organisée en partenariat avec la Société Mathématique de France dans le cadre du cycle « Un Texte, Un Mathématicien ».

En 1696, le mathématicien suisse Jean Bernoulli pose l’une des premiers problèmes qu’on appelle maintenant variationnels, celui de trouver la forme de la ‘brachistochrone’, c’est-à-dire de la courbe reliant deux points fixés A et B, le long de laquelle un solide tombant sous l’effet de la gravité partant de A arrive le plus vite en B. Il propose lui-même une solution, son frère Jacques Bernoulli, ainsi que Leibniz, se penchent également sur la question. C’est le grand mathématicien suisse Euler, établi à l’époque à Berlin, qui propose en 1744 la première approche générale de ce type de questions dans son ouvrage Methodus Inveniendi Lineas Curvas Maximi Minimive Proprietate Gaudentes sive Solutio Problematis Isoperimetrici Latissimo Sensu Accepti.Joseph-Louis Lagrange (Giuseppe Lodovico Lagrangia), mathématicien turinois, n’a que 19 ans et est totalement inconnu lorsqu’il écrit au grand Euler le 12 août 1755 pour lui annoncer qu’à partir des idées d’Euler, il a trouvé une méthode révolutionnaire, beaucoup plus efficace et systématique pour attaquer le problème. Euler lui répond dès le 6 septembre pour lui témoigner son admiration pour son résultat, et décide de retarder la publication de ses propres travaux sur ce sujet afin que Lagrange puisse retirer tout le mérite de sa publication. Cela sera le mémoire de 1760. Bientôt, Euler, ébloui par le génie du jeune homme, proposera à Lagrange un poste à l’académie des sciences de Berlin.De quoi s’agit-il ? Dans le problème posé par Jean Bernoulli, il s’agissait de déterminer la courbe qui minimise un temps de parcours. Celui-ci, comme d’autres apparemment différents : trouver le plus court chemin entre deux points sur le globe terrestre, comprendre la forme d’une lourde chaine accrochée entre deux piliers, déterminer la forme d’un pont suspendu, etc. peuvent tous s’exprimer mathématiquement de la même manière. On cherche à déterminer une courbe pour laquelle une certaine quantité est soit maximale, soit minimale. Cette quantité est une fonction de la courbe (plus précisément, cette fonction s’exprime comme une intégrale d’une quantité attachée à la courbe).L’idée révolutionnaire de Lagrange est de traiter ce problème avec les méthodes du calcul différentiel qu’avaient créé Newton et Leibniz au siècle précédent — méthodes qui permettent de calculer le minimum ou le maximum d’une fonction d’une variable réelle. Le nouveau calcul de Lagrange s’appelle ‘calcul des variations’, selon la terminologie bientôt adoptée par Euler lui-même. Son point de vue a une portée considérable : Lagrange peut reformuler, dans sa monumentale Mécanique analytique, toute la mécanique newtonienne en termes du principe de moindre action grâce au calcul des variations. Ce point de vue est aujourd’hui à la base de toute la physique moderne. Aux XIXème et XXème siècles, le calcul des variations a montré son caractère indispensable pour l’optimisation, la géométrie, et l’analyse des équations aux dérivées partielles.

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